18 mars 2009

Twiller, twitteroman, erotwit…

Un billet de Thierry Crouzet, sur son blog, Le peuple des connecteurs.

Après avoir lancé l’idée d’écrire un twiller, j’ai commencé à publié Croisade à partir du 25 décembre 2008, c’était mon cadeau de Noël. En fait un véritable cadeau pour moi-même avant d’être un cadeau pour les quelques lecteurs fidèles qui me suivent. J’ai maintenant du mal à écrire autre chose, si je m’écoutais je ne ferais que ça.

En décembre, je travaillais à Une brève histoire de l’informatique, projet aujourd’hui en stand by car je prépare autre chose dont je vous parlerai bientôt, en vous mettant bien sûr à contribution. Un des chapitres de cette brève histoire s’intitulait Le cauchemar de Proust. Il ressemblait à une énigme. Résumé.
C’était l’avant-veille de noël, 23 heures. Plein phares, Id enchaînait les méandres d’un chemin communal du Lot-et-Garonne. [123]

Après un trimestre éprouvant à Paris, il était heureux de rejoindre Mitch et les enfants dans leur maison de campagne. [118]

… (la suite sur twiller.tcrouzet.com)

L’homme s’approcha, l’air menaçant. « Vous avez des amis en Suisse ? » Jos avait dit qu’il arriverait de Genève. [112]

Pourquoi Id secoua-t-il la tête négativement ? Danger lui criait une voix intérieure. « Alors circulez ? » Id remonta en voiture et s’enfuit. [136]

Proust doit se retourner dans sa tombe. C’est comme ça qu’on écrit des romans sur Twitter, le service de microblogging. Comme pour les SMS, pas plus de 140 caractères à chaque envoi. Exit la psychologie et les longs atermoiements. Un nouveau genre est né le Twiller, contraction de Twitter et thriller . Proust n’est pas si has been que ça. Il avait pas mal commencé La Recherche du temps perdu.

Longtemps, je me suis couché de bonne heure. [44]
Après avoir écrit ces quelques lignes, j’ai eu envie de poursuivre l’histoire et c’est comme ça que Croisade a commencé. Près de trois mois plus tard, d’autres auteurs se lancent. Et nous avons commencé à discuter du genre. Pour moi, cinq grandes directions se dessinent (qui d’ailleurs peuvent se recouvrir).

SMS comme traitement de texte

C’est ce qu’a fait une japonaise. Elle écrivait son roman où qu’elle se trouve en expédiant des SMS au kilomètre. Bon, maintenant tout le monde a le mail sur son téléphone… Cette pratique me semble dépassée. Utiliser Twitter pour faire la même chose, je ne vois pas l’intérêt, sinon suivre la mode.

Ça fait mieux qu’ouvrir un blog !

En fait, on se fiche de savoir si un roman a été écrit sur mac ou sur PC, avec un crayon à papier ou un stylo bille, avec Twitter ou WordPress. Pas tout à fait diront les généticiens de la littérature : les conditions de production d’une œuvre influencent l’œuvre. Ça nous amène à la seconde direction.

Oulipo / Nouveau roman

Plus que de l’Oulipo, dont j’ai un temps aimé la virtuosité, j’ai un faible pour le Nouveau Roman à contrainte. J’ai toujours considéré La mise en scène de Claude Olier comme un chef d’œuvre, de même que Triptyque de Claude Simon. Butor, Robbe-Grillet, Pinget… m’ont influencé.

Suivant cette école littéraire, la contrainte pousse l’auteur dans une direction qu’il n’aurait pas suivie de lui-même. Les 140 caractères max du SMS me permettent ainsi d’écrire un thriller ce dont je suis incapable en situation libre. Ils poussent à la compacité, à l’esquisse à grands traits quelque peu expéditifs.

À cette contrainte s’ajoute le quasi direct de l’écriture, la possibilité de réaction des lecteurs, qui sont autant de capteurs sismiques qui ne manquent pas de m’influencer. Quand on me demande de révéler quelque chose sur un personnage, soit ça me donne une idée pour développer dans une direction imprévue, soit, au contraire, je retarde le moment de dire…

Théâtre

C’est la forme naturelle, première de la littérature par SMS. Des gens se parlent, échangent des infos, se donnent des rendez-vous… ça sert à ça les SMS. Combien de romances se jouent aujourd’hui par SMS ?

Avec sa nouvelle On l’appelait Sodomy, Laurent Zavack a mis en scène deux mecs qui fantasment.

On peut tout imaginer à partir de là. Une foule de gens peuvent se parler comme c’est le cas en fait sur Twitter tout simplement. À cette nouvelle forme de communication, quelque peu différente du SMS via téléphone, correspondra nécessairement une forme littéraire. Peut-être qu’elle ne produira que quelques œuvres, comme le cubisme n’a produit que quelques tableaux, mais ça vaut la peine d’expérimenter.

Maintenant pourquoi se limiter à 140 caractères sinon pour jouer avec la contrainte (et retomber dans la première catégorie) ? Zavack enchaîne les SMS et donc passe par-dessus la limite des 140 caractères. Logique puisqu’un émetteur peut bombarder avec ses SMS sans laisser de temps aux autres de répondre.

Rester attaché aux SMS serait une forme de réalisme. Décrire ce qui se passe entre les gens au début du vingt-et-unième siècle. Je suis sûr que ce sera archéologiquement intéressant, donc littérairement intéressant. Faut écrire ça maintenant car demain plus personne n’aura envie. It’s the right timeframe.

Journal

Voir Twitter comme un journal et publier ce journal. Première expérience tentée. Après tout c’est fait pour ça Twitter, pour dire ce qu’on pense quand on le pense. C’est un journal en continu et lu en continu. Ça aussi c’est nouveau, très différent du blog, encore plus synchrone… et en phase avec l’idée d’une conscience globale.

Poésie

C’est un retour à la contrainte, mais à une exploitation purement littéraire, à mon sens ce qu’a pu faire Richtel aux États-Unis. Compresser le langage, utiliser les codes SMS, jouer avec la phonétique… Je n’ai pas assez usé du SMS moi-même pour m’essayer à cette forme. Toute une génération parle le SMS et c’est à eux d’y aller. Ils ont déjà écrit des livres en langage SMS, ils peuvent le faire en live maintenant…