14 mars 2009

Ziméo Korny [Partie 1] Chapitre 2 : Des morts-vivants et des vivants-morts

Sous un soleil furieux à vous ravager la peau, Laurent était assis sur la muraille entourant le cimetière, ainsi que tous les locataires des tombes le composant, et il regardait sa famille l'enterer.
- Regardez-moi cette procession de corbeaux ! brailla-t-il grognard à ses nouveaux compagnons de monde, les morts.
- Et y sont tous là en plus ! La soeur, la mère, le père, les grand-mères, les grand-pères, les cousins, les neveux, la soeur de la grand-mère, le frère du grand-père... putain y a même la buraliste et la boulangère ! j'y crois pas ! La boulangère je comprends, quoique... mais la buraliste ! haha ! J'y allais que pour acheter les feuilles OCB, le tabac arrivait directement d'Espagne ! ... Tiens y'a même pas Pierrick...
Laurent détourna son regard de son propre enterrement pour regarder à gauche à droite les morts assis avec lui sur le mur.
- Et vous faces de ciment ! vous êtes pas bien plus esthétique ha ! Si ceux de là-bas sont tout sombres, vous vous êtes tout blanchâtres ! ... Et y sont muet en plus !
Un vieillard pâle à sa gauche le regarda fixement et plaça son index décrépi au milieu de ses vielles lèvres ridées, en fermant les yeux.
- Oui c'est ça papy ! T'es même pas drôle pis en plus t'empestes la souffrance ! chuchota nonchalamment Laurent en sautant du mur pour se diriger vers les membres de sa famille en deuil.
Il hurla :
- Eh les corbeaux !
Aucune réaction.
Il s'approcha taquin de sa cousine - une ado rondouillarde à chewing-gum, vestimentairement et mentalement hébétée à longueur d'ipod par Britney Spears - et tenta de lui peloter les fesses.
- Putain mais qu'est-ce que c'est que cette merde ??
Aucune sensation.
Rien, que dalle, tchi, Nada.
Il se retourna vers le vieillard de tout à l'heure pour lui hurler : "Eh papy t'y comprends quelque chose toi ?".
Pour toute réponse du vieillard pâle au visage crevassé il n'obtint que la répétition de la danse du doigt qui arrive sur les lèvres, dans un timing identique à la fois précédente, un timing à faire crever de jalousie les plus grands chorégraphes de la planète.
Laurent comprit qu'il n'obtiendrai rien de plus du vieillard.
Il ignorait que les morts ne communiquent pas avec les sons, que sa voix n'était audible que pour lui-même.
Il se détourna du vieillard pour suivre la cérémonie funèbre : on faisait descendre le cercueil dans le caveau.
- C'était un gentil garçon. Répétait consolante la grand-mère de Laurent, dans les bras de sa fille complètement possédée par l'affliction, en pleurs.
- Pauvre mami ! Un gentil garçon moi ! Arggg ! ...à chaque fois que j'ai pu te piquer 10 euros je crois n'y avoir jamais manqué ! ...et ce curé bordel il va pas la fermer ! ...j'aime pas les mauvais poètes ! ...et ça y est voilà qu'ils balancent à tour de rôle des fleurs dans le trou ! elles vont faner vos fleurs horde d'imbéciles ! ...vous auriez mieux fait de les offrir aux jolies filles et jolies garçons que vous avez même pas aperçu que vous avez croisés sur le chemin pour venir jusqu'ici !
Après ce déchaînement de cynisme, Laurent mesura la situation. Il paniqua même un bref instant.
Inaudible des morts, inaudible des vivants.
Était-il condamné à errer sans espoir coincé ni dans la chambre ni dans la cuisine, mais dans le mur les divisant ?
Sa famille commençait à se détourner de sa tombe, chacun allait rentrer chez soi.
Son regard vint se poser sur le cul de sa cousine et il remit à plus tard ses savantes angoisses...
Mais ledit cul allait nécéssairement disparaitre dans l'aquarelle douloureuse du crépuscule et de l'horizon... Qu'allait faire Laurent, après ?

FIN DU CHAPITRE 2